mardi 16 août 2016

86- Agroécologie -3- Les modèles mathématiques

AGROÉCOLOGIE – LES MODÈLES MATHÉMATIQUES

Dans un article publié en mai dernier dans Agropalca, une revue agricole des Iles Canaries, Ginés de Haro, agronome et conseiller agricole spécialisé dans la culture du bananier, présentait un intéressant article sur l’élaboration d’un modèle mathématique destiné à réaliser une prévision de récolte fiable en culture de banane dans les conditions très variables des Iles Canaries.
Article original, en espagnol, page 21 : http://www.palca.es/REVISTA%20AGROPALCA%2033.pdf


Photo: http://www.infonortedigital.com/portada/images/noticias/Canarias2015/canarias2016/plataneras.jpg

Vous ne le savez peut-être pas, mais l’agriculture utilise au quotidien un grand nombre de modèles mathématiques, qui lui permettent d’améliorer constamment les résultats agronomiques, avec un impact environnemental toujours plus réduit et des coûts de production contenus.

Pourquoi l’agriculture a-t-elle besoin de modèles mathématiques ?

Pour répondre au besoin permanent de s’adapter aux cycles biologiques, des plantes et des animaux, des cultures et de l’environnement, des parasites et de leurs prédateurs, qui peuvent être très variables. Les variations climatiques sont un des facteurs clé de variabilité, ainsi que la diversité des conditions de culture (espèces, variétés, méthode de culture, types de sol, types d’irrigation, altitude, pente et orientation, configuration géographique, etc.).
Or les plantes et les animaux vont réagir d’une manière relativement homogène, malgré des conditions très variables. C’est cette homogénéité de réaction et de comportement que les modèles mathématiques cherchent à mettre en évidence, à mesurer, et à anticiper.
On pourra prévoir les comportements dans toutes les situations, si on sait mettre toutes les conditions variables en comparaison les unes avec les autres. Les modèles mathématiques sont un des moyens les plus efficaces pour prédire les cycles agricoles et biologiques.
Ils permettent en particulier d'anticiper les développements des insectes ou de beaucoup de maladies, de prévoir les besoins des plantes, leurs cycles, les dates de floraison, leurs adaptations climatiques.
C’est par exemple grâce à la mise au point d’un modèle mathématique spécifique que les autorités sanitaires peuvent prévenir les nuages de sauterelles en Afrique, et ainsi éviter ou réduire les famines qu’ils peuvent provoquer.

Photo: http://www.scidev.net/objects_store/thumbnail/4E6020899E91132C60690CE6CCFD3FFE.jpg

Sur quoi se basent les modèles mathématiques adaptés à l’agriculture?

Ils se basent le plus souvent sur les enregistrements climatiques, qui sont des informations fiables, faciles à rassembler et à traiter, qui vont servir d'élément de référence, et sur des observations biologiques comme le cycle des plantes ou l'évolution des populations d'insectes nuisibles et de leurs prédateurs.
La mise en comparaison de ces deux catégories d’éléments, et l’accumulation de références des années précédentes permet, d’une part d’établir les corrélations, et d’autre part de les confirmer et de les affiner année après année. Ce travail sur le long terme permet d’établir la fiabilité du modèle et d’en déterminer les marges de sécurité.

Une fois les modèles phytosanitaires mis au point, ils permettent aux agriculteurs d'anticiper les dégâts de ravageurs ou de maladies, grâce à des actions spécifiques ou des traitements curatifs dans certains cas, préventifs dans d’autres, placés au moment idéal, ou à mettre en place les méthodes de surveillance ou de prophylaxie.

Prenons un exemple très commun, qui est aussi l’un des premiers modèles fiables établis en production fruitière. Il s’agit de la table de Mills, publiée en 1944, modifiée depuis par plusieurs équipes scientifiques. La mise au point de ce modèle permit, à l’époque de sa divulgation, une réduction drastique du nombre de traitements contre la tavelure, combinée avec une augmentation énorme de l'efficacité de la protection, ce qui lui donna une très grande popularité chez les professionnels de la production de pommes et poires.
La tavelure est un champignon qui se développe après la pluie. Or certaines pluies provoquent des contaminations, et d’autres non, et leur gravité est variable. D’autre part, la protection contre la tavelure est essentiellement préventive, puisque les taches, une fois visibles, sont presque impossibles à arrêter, exigent une grande quantité de traitements pour éviter qu’elles ne s’aggravent, et provoquent une grave dépréciation du fruit.

Photo: http://www.omafra.gov.on.ca/english/crops/facts/apscabf6.jpg

Que peut faire l’agriculteur pour éviter les dégâts ?
Il doit traiter avant de voir les taches. Mais là encore rien n’est simple.
La pluie a-t-elle été contaminante ?
Un simple brouillard peut-il provoquer des dégâts ?
Dans quel délai après la pluie dois-je intervenir pour éviter les dégâts ?
Au bout de combien de temps les taches vont-elle apparaitre ?
L’agriculteur pourrait par exemple décider de traiter une fois par semaine, quoi qu’il arrive, pour ne pas se compliquer la vie. Il devrait donc traiter très fréquemment, sans forcément obtenir une efficacité suffisante, et avec un coût environnemental et économique exorbitant.
Il a donc la solution d’utiliser les modèles mathématiques comme la table de Mills ou un des modèles plus modernes. Il lui suffit d’être équipé d'un humectomêtre, qui mesure la durée de l’humectation des feuilles, et d’un thermomètre enregistreur, équipements faciles à trouver et abordables, ou plus simplement d’être abonné à une des stations agroclimatiques spécialisées de sa région.
Toujours est-il qu’il aura ainsi, en temps réel, les informations fiables concernant les risques. Ces informations lui permettront de prendre la décision la plus adéquate sur le besoin de traiter et sur la gravité de la contamination, donc également sur les types de produits à utiliser.
L’agriculteur, qu’il fasse de la production biologique, conventionnelle ou intégrée, utilise les mêmes références et les mêmes méthodes. Seule change la liste des pesticides utilisables dans chaque situation.

Le système marche aussi à l'inverse, c'est à dire en mettant en relation le cycle de la culture avec les conditions climatiques, afin de déterminer les périodes de sensibilité à certains problèmes sanitaires ou physiologiques, et d’agir en conséquence.
Ginés de Haro nous explique :
"Nous avons pris différentes altitudes au-dessus de la mer et orientations (des fermes au nord, d'autres au sud) (...)
Nous pouvons tirer quelques conclusions du modèle. Comme on pouvait s'y attendre, les cycles sont directement liés avec l'altitude au-dessus du niveau de la mer (puisque la température baisse au fur et à mesure qu'on s'élève), mais l'orientation a aussi une influence. Par exemple une ferme à 45 mètres à Fuencaliente a un cycle de deux semaines plus court qu'une ferme à Galdar, à 16 mètres, quelle que soit l'époque".
Dans le cas des Canaries, c’est particulièrement important, dans la mesure où ce sont des iles, assez éloignées les unes des autres, variées et montagneuses, sur lesquelles les facteurs de variabilité sont énormes, et malgré cela, le modèle permet de faire des prévisions fiables dans toutes les situations.

Image: http://www.agrometeo.fr/img/Tavelure_automne.jpg


L’utilisation des mathématiques en agriculture est même un défi d’avenir, car l’agriculture de précision, concept récent qui veut optimiser la production agricole par la précision des techniques mises en œuvre, est une voie incontournable pour l’avenir de l’humanité. Cette agriculture de précision passe, entre autres choses, par la modélisation d’un grand nombre de concepts, afin de rendre prévisible tout l’aspect actuellement imprévisible de l’agriculture, c’est-à-dire l’influence des conditions climatiques variables sur les êtres vivants.

Voyez ce qui s’est produit cette année un peu partout en Europe. Des conditions climatiques anormales ont gravement perturbé les récoltes de nombreuses cultures. Les céréaliers français ont été fortement touchés par ces perturbations.
Mais ils reconnaissent s’être laissé surprendre. À la fin du mois de juin, le blé avait une densité apparente normale, les plantes étaient belles. Personne n’imaginait que les épis étaient si peu remplis.
C’est ce genre de problème qu’il est important d’apprendre à éviter, ou au moins à gérer.
L’agriculteur, un peu par culture, un peu par la force des choses, vit souvent au jour le jour, et l’anticipation des phénomènes à venir est parfois difficile.
L’utilisation des modèles peut être une grande aide à l’optimisation du travail.

L’apparition des nouvelles technologies en agriculture a été l’occasion de développer des modèles mathématiques adaptés. Par exemple, l’imagerie satellite, combinée avec les coordonnées GPS, l’invention de nouveaux capteurs et l’adaptation des équipements a permis une réduction de 5% des apports de fertilisants, parfois plus cas. http://www.agronewscastillayleon.com/el-uso-de-nuevas-tecnologias-como-el-gps-permite-ahorrar-hasta-un-5-en-fertilizantes
Comment ? L’imagerie satellite fournit un état de l’homogénéité du champ, soit par une simple image, soit par colorimétrie (intensité de la photosynthèse), soit par imagerie thermique (température de la feuille, donc capacité de la plante à réguler sa propre température). Ces images sont révélatrices de l’état de santé et d’homogénéité de la culture, et permettent, grâce à des modèles mathématiques adaptés, d’ajuster exactement la dose d’engrais à chaque secteur de la parcelle. Ces technologies sont également utilisables pour les applications ciblées de pesticides, pour les semis précis, et sont en cours d’étude pour l’irrigation.

Photo: http://geovantage.com/app/uploads/2013/04/Sample1_20100709_NDVI-1024x653.jpg

En quoi les modèles mathématiques ont-ils un important rôle à jouer pour le développement de l'agroécologie?
Un des fondements de l'agroécologie est l'agriculture, donc la production d'aliments et de matières premières renouvelables pour les besoins humains. L'objectif est de minimiser l'impact négatif sur l'environnement d’une agriculture qui doit être toujours plus productive afin de couvrir les besoins de la population. Ces besoins augmentent avec l’augmentation de la population, et avec l’amélioration des conditions de vie des populations les plus pauvres. Mais il est indispensable de ne pas augmenter la surface agricole, afin de ne pas accentuer la perte de biodiversité, et de ne pas exacerber l’impact environnemental négatif de l’augmentation de population.

Les modèles mathématiques ont pour objectif final d’optimiser la production agricole, d’en réduire l’impact sur l’environnement, mais également de réduire le gaspillage alimentaire, au moins pour la part importante qui se produit au champ.

La plupart des modèles existant ont été orientés vers l'optimisation agronomique des cultures, ou pour l'optimisation des interventions culturales et phytosanitaires.
L’environnement est un système très complexe, sur lequel toute action humaine a un impact, plus ou moins fort, plus ou moins perturbateur, plus ou moins négatif. Il est évident que l’agriculture fait partie des activités humaines dont l’impact environnemental est important. Encore faut-il pouvoir le mesurer. L’agriculteur travaille dans un objectif de production, le mieux qu’il peut, mais souvent sans avoir les moyens de mesurer ou estimer les répercussions environnementales de son travail.
Il est désormais important que des équipes scientifiques se préoccupent d'élaborer des modèles, destinés aux agriculteurs, qui mettent en relation les actions agronomiques avec leurs effets environnementaux. C’est encore le point faible du système agricole.
Les calculs d’empreinte eau ou d’empreinte carbone sont un premier pas, mais ils sont extrêmement complexes, lents et couteux, exigent généralement de faire appel à des spécialistes, et ne donnent pas de solution concrète à l’agriculteur dans ses pratiques quotidiennes. C’est juste un indice pour mesurer une situation concrète à un moment concret. Ceci explique que très peu d’agriculteurs s’y soient lancés réellement.
Les agriculteurs ont besoins de systèmes rapides et simples, qu’ils puissent implanter eux-mêmes sur leur propre ferme, et qui les aide à travailler de manière plus efficiente.

Photo: http://asi.ucdavis.edu/programs/sarep/research-initiatives/are/files/AREbannerimage.png

L’application de modèles mathématiques, combinée avec l’implantation de techniques et de méthodes culturales issues de l’agriculture de précision et de l’agroécologie, doivent permettre à l’agriculture de relever le formidable défi de nourrir une population mondiale en constante augmentation sans augmenter son impact environnemental, par une meilleure utilisation des ressources disponibles, tout en s’adaptant aux évolutions climatiques.

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