vendredi 8 décembre 2017

120- Protection des plantes -6- Sentir le vent tourner

GLYPHOSATE : SENTIR LE VENT TOURNER

En pleine polémique dans toute l’Union européenne après la réautorisation du glyphosate pour 5 ans, une petite société française profite de la confusion ambiante pour se faire sa pub.

Image : personnelle

Elle explique qu’elle dispose d’une alternative bio au glyphosate, mais que sa commercialisation est bloquée par l’administration.
Elle diffuse largement sur les réseaux sociaux (avec l’aide de ses soutiens et/ou des lobbies environnementalistes) des articles disant à qui veut l’entendre que son produit existe, qu’il est d’une efficacité démontrée, mais que l’administration, depuis 4 ans, bloque son dossier sans motif. Elle se pose donc en victime d’une situation laissant penser que l’administration est sous influence.
Et ça marche. Depuis quelques semaines, elle a droit à des articles dans tous les périodiques, même les plus sérieux, elle passe à la télévision, même en dehors de la France. Une publicité bien orchestrée et, semble-t-il, efficace.
Voici quelques liens français. Il en existe beaucoup d’autres.

L’administration chargée du dossier, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire
de l’alimentation, de l’environnement
et du travail), sans doute lasse de se voir attaquée de toutes parts, vient de publier un communiqué dans lequel elle précise la situation.



Elle y indique en particulier que, s’il est vrai que le  dossier n’avance pas, il est par contre totalement faux d’en rendre l’administration responsable. En fait, la société en question est la seule responsable de ne pas avoir fourni à l’administration compétente les éléments nécessaires, et de ne pas s’être acquittée des taxes correspondantes.

 « Dès réception du dossier, il est apparu que la plupart des pièces nécessaires étaient manquantes, y compris le formulaire de demande administrative Cerfa, qui précise notamment les caractéristiques du produit et de ses usages prévus, ainsi que par exemple :
- la composition intégrale (les substances actives qui entrent dans la composition devant
nécessairement être approuvées préalablement au niveau européen),
- les essais et études permettant d’évaluer l’efficacité du produit, et son impact sur la santé et
l’environnement,
- le projet d’étiquette du produit.
L’acquittement de la taxe pour l’instruction de dossier (taxe réduite à 2 000 € au lieu de 40 000 €,
s’agissant d’un produit de biocontrôle) n’a par ailleurs jamais été effectué. »
Il est donc très clair qu’un produit dit de biocontrôle, autrement dit un pesticide biologique, doit respecter une démarche claire et précise pour être homologué. On ne peut que s’en réjouir.
Le postulat disant que tout ce qui est naturel est bon est régulièrement battu en brèche par la réalité.


On peut citer, en vrac,
-       La nicotine, extraite du tabac, encore utilisée dans de nombreux pays comme insecticide biologique et pourtant directement responsable de millions de morts par an,
-       L’arsenic, minéral naturel dont la toxicité n’est pas à démontrer, utilisé comme fongicide (arséniate de sodium) sur les vignes jusqu'en 2001, et combiné avec du plomb (arséniate de plomb), autre minerai naturel dont la toxicité est largement reconnue, qui a été largement utilisé comme insecticide par exemple contre le doryphore de la pomme de terre jusqu’en 1971,
-       L’huile de neem, extrait végétal de l’arbre de neem, bouquet complexe de substances naturelles, autorisée dans le monde entier comme insecticide biologique, et perturbateur endocrinien avéré,
-       Les pyréthrines naturelles, extraites de certaines plantes, insecticides naturels très polyvalents, très largement employés même dans les insecticides domestiques, très toxiques sur la faune aquatique, et perturbateur des liaisons nerveuses (neurotoxique),
-       Le cuivre, premier pesticide dans l’histoire de l’agriculture moderne, fongicide et bactériostatique reconnu, très largement utilisé en agriculture, tant conventionnelle que biologique, malgré son statut de métal lourd et de polluant connu des sols et des eaux.
-       On pourrait aussi citer de nombreuses substances naturelles, connues depuis des siècles, comme la cigüe, le venin de serpent ou de scorpion, l’ergot de seigle, le curare, et un très long etc. Je n’ai décrit que quelques substances naturelles connues pour leur usage comme pesticide.


Il semble évident que la société en question s’est lancée dans une communication parfaitement malhonnête, essayant de faire avancer son dossier grâce à la pression de la société civile, la même qui a réussi à monter en mayonnaise le dossier du glyphosate, qui pourtant ne reposait au départ que sur de maigres suppositions.

Vous trouverez tous les détails sur le produit et ses démarches dans l’article de mon collègue Seppi sur le lien http://seppi.over-blog.com/2017/12/osmobio-le-successeur-du-glyphosate-serait-la.vraiment.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail

Cette charmante entreprise a sans doute pensé que si le glyphosate a failli disparaître sur la base d’un dossier totalement truqué et manipulé, pourquoi son produit ne pourrait-il pas être homologué, sans dossier du tout?
Il est devenu évident, pour tous ceux qui en doutaient encore, que les réseaux sociaux sont actuellement l’arme de manipulation et de propagande la plus puissante et efficace qui soit.

Le patron de cette petite entreprise a par ailleurs déclaré ne pas utiliser de produits chimiques qui « détruisent la biodiversité ». Comme l’indique Seppi, son produit est lui-même issu de la chimie naturelle. Il s’agit donc bien d’un produit chimique.
Et comme tout bon désherbant, son rôle est avant tout de détruire la biodiversité par l’élimination des herbes indésirables. Dans le cas des pesticides, et sur le plan de la biodiversité, synthétique ou naturel, même combat.
Il me semble également bon de rappeler que par essence, l’agriculture lutte contre la biodiversité, même sous ses formes les plus écologistes, comme la permaculture.


A partir du moment où l’agriculteur sème un champ d’une seule espèce, avec ou sans labour, avec ou sans pesticides, quelle que soit la méthode de production et quelle que soit la surface dudit champ, il perturbe la biodiversité.
C’est la même chose avec un jardin. Vous voulez que votre jardin ne perturbe pas la biodiversité ? Laissez-le ouvert, et en friche.

Mais attention, la demande d’homologation concerne un « désherbant total des zones non agricoles », donc pour les voies ferrées et les routes, mais pas pour l’agriculture, et pas pour les jardins non plus.
Tout ça prend des airs de fausse nouvelle et de manipulation.

Petit malin.
Cet entrepreneur utilise toute la rhétorique écologiste, mais oublie juste de préciser les choses. Le mensonge par omission est à la mode, de nos jours.

Il est malgré tout rassurant de constater que la législation évolue en ce qui concerne les pesticides biologiques. En effet, jusqu’à un passé très récent, les exigences étaient très superficielles pour l’autorisation de commercialisation et d’usage des pesticides biologiques, laissant place à un flou règlementaire donnant lieu à des abus nombreux, toujours au prétexte que « c’est naturel ».
Une substance naturelle, pour pouvoir être utilisée sur des futurs aliments doit désormais démontrer, bien sûr son efficacité, mais aussi son innocuité aussi bien sur l’environnement que sur la santé.

On observe la même tendance avec des préparations à base de plante, comme le purin d’orties par exemple, qui doivent désormais démontrer leur innocuité, ce qui ne plait pas à tout le monde. http://www.sudouest.fr/2017/12/04/environnement-la-guerre-de-l-ortie-n-est-pas-vraiment-finie-4004118-706.php


Le principe de précaution, s’il s’applique aux substances synthétiques, doit s’appliquer exactement de la même manière et dans les mêmes proportions aux substances naturelles. Ne croyez pas que je défende le principe de précaution, je le considère comme une gangrène de notre société moderne, à cause du frein au progrès qu’il représente, souvent sans réelle justification. Il est trop souvent mis en avant. On ne doit pas faire n’importe quoi, mais ce n’est pas une raison pour paralyser tous les progrès.

Ceci étant dit, si ce produit est bon et si, comme la société qui le fabrique l’affirme, il respecte au mieux l’environnement, l’utilisateur et le consommateur, alors très sincèrement, comme agriculteur utilisateur (raisonnable et modéré) du glyphosate, je me réjouis de l’arrivée de cette alternative.
Encore faudrait-il que cette société fasse le nécessaire pour qu’il puisse être homologué. Elle a déjà déposé un brevet au Canada, aux Etats-Unis, en Europe et enfin un brevet International sur sa formule. Ça nous montre qu’elle compte en vendre, beaucoup même, pour gagner beaucoup d’argent.

Au démarrage de toute entreprise à but lucratif, ce qui est évidemment le cas de celle-ci, il y a la notion d’investissement, c’est-à-dire une dépense initiale de fonds destinés à être rentabilisés par les futures ventes du produit. Le brevet en fait partie bien évidemment, mais le dossier d’homologation aussi.
Donc cher monsieur, faites l’investissement nécessaire pour que votre produit puisse être homologué. Alors je me réjouirai de pouvoir l’utiliser, mais seulement hors des zones agricoles, à moins que vous ne fassiez le nécessaire pour que ce produit puisse aussi être utilisé dans les cultures.
A moins évidemment, que sa toxicité, ses résidus ou les risques qu’il présente pour la santé ou l’environnement ne bloquent son homologation, ou son éventuelle future extension d’usage aux cultures.

Même si c’est un produit naturel…

Image : https://static.actu.fr/uploads/2017/11/Osmobio-2-854x569.jpg

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