mardi 3 novembre 2015

57- Vénérables ancêtres

VENERABLES ANCÊTRES

Dans deux petits coins d’Espagne, l’un à cheval sur trois communautés Autonomes (Aragon, Catalogne et Communauté Valencienne), l’autre aux confins des provinces de Castellón et de Teruel, il existe deux zones, la première nommée Territorio del Senia, l’autre nommée Maestrazgo (Teruel) ou Baix Maestrat (Castellón), dont la richesse est exceptionnelle. Ce sont leurs oliviers, leurs vieux oliviers millénaires de la variété autochtone et traditionnelle appelée Farga.


Pourtant cette richesse a été sur le point de disparaitre, dans les années 2000, car le marché de l’huile d’olive devenant de plus en plus difficile, les agriculteurs, propriétaires de ces véritables monuments historiques, ont été tentés de les arracher pour convertir leur production à des variétés et des méthodes plus modernes et plus productives, ou même à se reconvertir à d’autres productions.

Heureusement, avant que tout n’ait été arraché, se sont créés deux collectifs pour en sauver le plus possible.
Les arbres ayant une circonférence d’au moins 3m50 mesurée à 1m30 du sol ont environ 1000 ans, ceux ayant une circonférence de 6 m ou plus ont environ 2000 ans. Certains atteignent une circonférence supérieure à 9 mètres. Bref, c’est toute l’histoire de l’Espagne qu’ont connu ces arbres.
Le nombre d’arbres recensés est d’un peu plus de 4000 exemplaires dans chacune des deux zones. C’est à la fois beaucoup et très peu.


Afin de les préserver, et afin que les agriculteurs puissent en vivre dignement, des cahiers des charges de production exigeants ont été établis, afin de faire de l’huile extraite un produit d’exception, comme le méritent ces arbres d’exception. Le travail est entièrement manuel, afin d’apporter les meilleurs soins à ces vénérables ancêtres de notre agriculture actuelle.

Voyez donc (ici vous trouverez aussi des témoignages de grands cuisiniers sur la qualité de l’huile)
Ou aussi
ou encore

Evidemment, plusieurs marques se sont lancées dans un marketing opportuniste, proposant de l’huile d’arbres de 500 ans, de 1000 ans, ou 2000 ans. Mais bon, on ne peut pas leur en vouloir. Si les cahiers des charges sont respectés, et que c’est un moyen pour sauvegarder à la fois un patrimoine exceptionnel, et une agriculture traditionnelle dans des zones rurales plutôt défavorisées, alors j’applaudis.

L’idée est bonne, la sauvegarde est en route.
C’est aussi un hommage à toutes ces générations successives d’agriculteurs qui ont su maintenir, prendre soin et transmettre ce patrimoine durant des siècles.
L’huile est chère, bien sûr, mais elle est produite de manière très traditionnelle, et surtout, elle a une petite saveur historique qui lui donne un caractère unique.
Au fait, ce n’est pas de la pub, mais je trouve que l’initiative est intéressante et mérite d’être connue. Et si par ce post, je les aide à améliorer un peu leurs ventes, j’aurai la satisfaction d’avoir participé, un tout petit, à ce joli projet.

L’Espagne est un des pays européens à avoir été relativement préservé par la grande vague de froid de 1956, qui tua la quasi-totalité des oliviers, surtout en France et dans le Nord de l’Italie. Il reste donc beaucoup d’arbres millénaires à travers le pays, mais nulle part aussi nombreux et concentrés que dans le Maestrazgo ou le Sénia.


Or ces arbres millénaires isolés ont trouvé un autre destin ces dernières années, beaucoup moins romantique. La bulle immobilière des années 2000 en Espagne a occasionné des arrachages massifs d’oliviers qui se retrouvaient dans des zones devenues urbanisables. Beaucoup ont été purement et simplement brulés, parfois débités pour en faire du bois de cheminée.

Mais une mode s’est alors instaurée : la vente de grands arbres entiers pour les jardins, à travers le monde entier. L’olivier est un arbre qui supporte généralement bien la transplantation, si le travail est bien fait. Et l’olivier millénaire est devenu un objet de spéculation. Malheureusement, la nature humaine étant ce qu’elle est, la justification urbanistique a fait long feu, et ces arbres sont simplement devenus des marchandises destinées à satisfaire les caprices de gens riches. La bulle immobilière a explosé, l’Espagne est entrée dans une crise profonde et durable, mais les arbres millénaires continuent d’avoir un marché tout à fait lucratif. Un millionnaire français a ainsi dépensé 64.000€ pour un olivier millénaire du Portugal.
Les sites d’achats d’oliviers millénaires ou plusieurs fois centenaires sont nombreux sur Internet.

Or transplanter un arbre millénaire ne se fait pas aussi facilement que pour un arbre de quelques dizaines d’années. Et beaucoup de ces vénérables vestiges vivants ne survivent pas à l’opération. Ce patrimoine historique, culturel et agricole est en train d’être en grande partie détruit par ces pratiques juteuses.
Une pétition circule actuellement. En effet, en Espagne, seule la Communauté Valencienne a instauré une loi pour les préserver. Je vous propose de la signer, si vous pensez, comme moi, que ce patrimoine est exceptionnel et mérite d’être préservé.

Au fait, c’est quoi une culture moderne de l’olivier ?
Un des grands problèmes de l’olivier, c’est le coût de la récolte. Le fruit est petit, les arbres volumineux, il faut donc des échelles, et au prix horaire de la main d’œuvre, le kilo d’olives est très cher. Mais quand en plus, vous savez qu’il faut en moyenne 5 kilos d’olives pour extraire 1 litre d’huile, c’est forcément une production chère, qui n’est pas toujours payée à l’agriculteur à un prix suffisant. Il doit donc chercher le moyen de réduire ses coûts, afin d’avoir de meilleures chances de pouvoir vivre de sa culture.

Voici une petite série de 4 vidéos, extraites d’Internet, qui illustrent les techniques de récolte actuellement utilisées par les agriculteurs.

Tout d’abord, la récolte manuelle traditionnelle telle qu’elle se pratique encore (mais de moins en moins) ici, dans la région de Séville. Cette technique est encore très utilisée pour l’olive de table, qui supporte très mal les chocs. C’est aussi celle choisie par les deux zones de production d’huile d’oliviers millénaires.


Donc depuis quelques décennies, beaucoup de gens travaillent sur la possibilité de mécaniser la récolte. En gros, il existe trois voies d’évolution.

La première voie a simplement remplacé la main par un vibreur à main. Le sol est couvert par un filet, l’ouvrier vibre les branches les unes après les autres, les olives tombent sur le filet qui est ramassé ensuite. Cette technique a l’avantage de s’adapter à n’importe quel type d’arbres, qu’ils soient jeunes, vieux, avec des troncs gros ou difformes. En plus elle ne provoque pratiquement pas plus de dégâts à la frondaison que la récolte manuelle.


La deuxième voie, développée depuis plusieurs décennies, est le vibreur sur tracteur, qui provoque la chute du fruit, soit au sol sur des filets, soit dans un grand entonnoir déployé sous l’arbre. Les arbres ont une formation traditionnelle. La technique s’adapte bien à des troncs de jusqu’à 40 cm de diamètre approximativement.


La troisième voie, plus récente, s’adapte à des arbres plantés très dense, dont le gabarit est maintenu mécaniquement, et qui pour former une haie. La récolteuse enjambe l’arbre, et la récolte se fait par des barres qui vibrent et secouent l’ensemble de la frondaison. Les vergers les plus âgés ont une vingtaine d’années.


Pour mon goût personnel, la mécanisation, quelle qu’elle soit, est toujours traumatisante pour l’arbre. Mais tant qu’à choisir, je préfère la première ou la deuxième solution, qui permettent de respecter la plante dans sa formation et sa croissance.
Les prouesses technologiques nécessaires pour arriver à concevoir et fabriquer ces machines sont remarquables, et admirables. Mais j’ai un grand respect pour les plantes, et j’ai toujours l’impression que ces grosses machines sont une sorte de mauvais traitement. C’est sans doute mon côté romantique.

Mais la démocratisation d’un produit comme l’huile d’olive, dont les bienfaits sont établis, et l’amélioration des conditions sociales, donc des salaires, conduit inévitablement vers ces techniques.
Et l’attrait de l’argent facile détruit une grande partie de ce patrimoine historique.

La préservation de ces vénérables oliviers millénaires n’en a que plus de mérite. Ces arbres sont la mémoire vivante de 2000 ans d’évolution du Sud de l’Europe. S’ils pouvaient parler, ou si nous savions les entendre, ils auraient beaucoup de choses à nous apprendre.

Un peu de romantisme ne fait jamais de mal, dans ce monde de brutes.

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